Dans la multitude des organismes impliqués dans la protection de la biodiversité, certains sont assez injustement méconnus du public, en dépit d’un travail précieux. A Audenge, les botanistes du Conservatoire botanique national Sud-Atlantique (CBNSA) ont les yeux rivés au sol, faisant le dos rond aux nuages.
Les plantes proches de l’extinction, les plus communes, les rares, les prédatrices, les exotiques, les invasives…, voilà ce qui intéresse la quinzaine de botanistes du Conservatoire Botanique National Sud-Atlantique (CBNSA), dont l’une des premières missions est de développer la connaissance scientifique de la flore sauvage. Ils collectent des spécimens, les dissèquent, les analysent, font des inventaires, maillent le territoire en cartographie précise. Et quand ils n’arpentent pas la côte, les sentiers pierreux ou de larges prairies, ils ouvrent les vieux herbiers d’antan et les inventaires de botanistes curieux du siècle passé, histoire d’anticiper les invasions, à l’heure où la mondialisation des échanges a fait tomber les frontières botaniques. Car chaque écosystème est le terrain d’une bagarre. Il y a celles qui attaquent, celles qui résistent et celles qui capitulent. En Aquitaine, c’est le CBNSA qui surveille le champ de bataille sur les régions Aquitaine et Poitou-Charentes, en exerçant ses quatre fonctions primordiales : la connaissance de l’état et de l’évolution de la flore sauvage et des habitats naturels, l’identification et la conservation des éléments rares et menacés, des missions d’expertise auprès des collectivités afin qu’elles puissent élaborer des politiques en matière de biodiversité, et l’éducation du public à la connaissance et à la préservation de la diversité végétale. C’est en 2008 que le CBNSA, établissement public créé en 2006, a reçu l’agrément CBN (Conservatoire Botanique National). En effet, on ne naît pas CBN, on le devient, et ce, au moyen d’un agrément délivré par le ministère de l’environnement. En Aquitaine, ce fut donc assez tardif, « d’autres régions ont des conservatoires botaniques depuis les années 70. Pour l’heure, nous avons lancé beaucoup de programmes d’inventaires pour mieux connaître la diversité de notre région. En Gironde, on estime à 2500 le nombre de taxons » précise Coralie Pradel, directrice du CBNSA.
Mais une chose est certaine, des espèces sont en voie de régression. L’Aquitaine n’échappe pas au phénomène de mondialisation de la nature. A pied, en voiture, en avion ou en bateau à voile, des milliers d’espèces végétales voyagent tout autour de la Terre. Certains passagers sont clandestins, d’autres déclarés, mais certains s’avèrent être d’incontrôlables envahisseurs. Parfois, il s’agit d’espèces volontairement introduites par l’homme, utilisées pour l’ornement dans les jardins des particuliers et commercialisées en pépinières, qui ont échappé à son contrôle, comme le Faux cotonnier, ce si joli arbuste fleurissant à la fin de l’été, qui, lorsqu’il se propage le long du littoral, ne laisse de la place à rien d’autre. L’ « alien » peut afficher aussi une apparence bien innocente, comme la Jussie dont les masses épaisses étouffent les étangs. D’autres encore, passent inaperçus, jusqu’à ce qu’il soit parfois trop tard. Trop tard pour l’Herbe de la pampa, plante qui s’est depuis longtemps imposée dans les milieux perturbés de la région. Trop tard pour l’Aronie à feuille d’arbousier qui envahit localement les Landes suite aux coupes rases de pinèdes. Trop tard pour l’Ambroisie à feuille d’armoise, reconnue problème de santé publique, provoquant de graves problèmes d’allergie.
Et c’est bien là le rôle du Conservatoire : veiller, détecter les espèces « nouvelles » du territoire, étudier leur dynamique et leur impact potentiel, pour prévenir les invasions végétales et leurs conséquences. « Pour l’ambroisie, nous sommes précisément dans cette logique de veille en Aquitaine, d’inventaire. On cartographie la répartition, bientôt dotée d’une plateforme de signalement. On suit l’évolution, on met en place des actions de lutte avec les acteurs comme la FREDON, les acteurs des milieux agricoles, etc. pour éviter la progression de l’espèce » souligne Aurélien Caillon, chargé de mission. Mais les CBN ont aussi pour mission d’informer et d’alerter les pouvoirs publics pour qu’ils puissent mettre en place des stratégies. « On a vu le retour d’espèces comme le Silène de Corse sur le littoral en gérant correctement l’extension du Faux cotonnier », se réjouit le botaniste, sentinelle, mais encore ange-gardien de la biodiversité dont les ailes cachent aussi une véritable arche de Noé végétale, ex situ, pour garantir la préservation des espèces menacées.
www.cbnsa.fr
Site de l’Observatoire de la Flore Sud-Atlantique : www.ofsa.fr