On les appelle aujourd’hui par un acronyme qui cache un ennemi plus que préoccupant : PE, autrement dit Perturbateurs Endocriniens. Dans le cadre de ses Jeudis soirs Culturels, l’association Terre et Océan a invité Olivier Kah, neurobiologiste, directeur de recherche émérite au CNRS-INSERM, pour décrypter ces substances à haut risque tout en soulevant la question de l’évolution nécessaire de la réglementation. Une conférence proposée à la Maison Ecocitoyenne de Bordeaux (Gironde) en novembre 2018.
Spécialiste du sujet, auteur du livre Les Perturbateurs endocriniens. Ces produits qui en veulent à nos hormones, paru à l’automne 2016, Olivier Kah décrypte pour le grand public les risques liés aux perturbateurs endocriniens : comment agissent ces molécules, où on les trouve, quels risques elles représentent, où en est la connaissance scientifique du sujet aujourd’hui, comment on peut les éviter au quotidien… En deux heures, Olivier Kah aborde la perturbation endocrinienne par l’Histoire, depuis les années 1950, marquée par l’utilisation massive de pesticides organochlorés, comme le célèbre D.D.T., aujourd’hui interdit en Europe ; puis la disparition des aigles chauves, des goélands, des grenouilles devenues hermaphrodites, de l’éveil des consciences en 1962 avec le fameux livre de Rachel Carson Printemps silencieux, pour arriver au déclin spermatique depuis les années 1990 (40% de baisse aujourd’hui) et à une première définition du concept de Perturbateur endocrinien en 1991, « une substance ou mélange exogène qui alterne les fonctions du système endocrinien et induit des effets néfastes pour la santé ».
Olivier Kah explique ensuite la manière dont agissent ces P.E., dont plus de 1400 ont été identifiés aujourd’hui et que l’on retrouve dans les plastiques, retardateurs de flamme, cosmétiques, pesticides ou dans l’alimentation : « C’est un cambriolage hormonal : ils ont la capacité de se lier aux récepteurs hormonaux, ce qui leur permet de s’opposer à l’action des hormones ou au contraire de la stimuler. Le résultat est un dysfonctionnement hormonal, avec des conséquences et des effets très larges, sans oublier leur rôle crucial au cours du développement embryonnaire. » Ces molécules sont aujourd’hui suspectées d’être responsables de malformations génitales, de pubertés précoces ou de diminution de la fertilité. On les soupçonne également de jouer un rôle dans le développement de l’obésité, du diabète et de certains cancers.
Autre caractéristique : la relation entre l’effet toxique et la dose n’est pas toujours proportionnelle. A cela s’ajoute aussi l’effet cocktail : plusieurs P.E. agissant sur les mêmes mécanismes biologiques peuvent, ensemble, perturber le système hormonal là où chacun, pris isolément, n’aurait aucun effet. « A l’heure actuelle, nul ne sait quels seront les effets de l’exposition chronique à long terme. Or, l’élaboration de la nouvelle définition, qui date de 2017, est plutôt défavorable à leur interdiction. Pour qu’une molécule soit classée comme P.E., il faut que son impact sur la santé humaine ait été identifié sur la base d’un niveau de preuves très élevé. Une disposition qui ne permettra d’identifier qu’une très petite fraction de substances potentiellement dangereuses » ajoute Olivier Kah. En attendant, pour les éviter, pas de secret : revenir aux bases d’une alimentation et de produits plus sains… C’est sur ces mots que le public, une trentaine de participants, est reparti de cette soirée riche en enseignements.
Olivier Kah, Les Perturbateurs endocriniens. Ces produits qui en veulent à nos hormones, éditions Apogée, 2016
Rachel Carson, Printemps silencieux, Wildproject Editions, 3ème éd. 2014