La deuxième conférence organisée par GRAINE Aquitaine et l’IREPS Aquitaine a eu lieu à la Maison Ecocitoyenne de Bordeaux le 19 juin 2014 autour de la question de l’usage de la donnée scientifique dans les démarches éducatives, réunissant une cinquantaine de personnes issues des secteurs sanitaire, socio-éducatif et environnemental. Un débat une fois de plus riche en enseignements qui interroge les pratiques éducatives.
« Qu’est-ce qu’on fait de la donnée scientifique ? Aujourd’hui, on a besoin de vérités et de certitudes, or la science n’est pas toujours en mesure de nous apporter une réponse claire et irréfutable à une question posée. Bien au contraire, on ouvre souvent une boîte de Pandore… » Hervé Cazenabe, directeur de GRAINE Aquitaine lance le débat avant de laisser la parole au premier invité : Winston Brugmans, philosophe, Président de l’Espace Bioéthique Aquitain et Vice-Président du Conseil de développement durable de la Communauté Urbaine de Bordeaux pour aborder la question « des controverses entre scientifiques : une occasion de repenser la place du savoir profane et le questionnement éthique. »
La controverse, enjeux scientifiques, enjeux de société
Et en effet, le débat échappe depuis quelques années maintenant aux scientifiques eux-mêmes pour se propager dans la presse, le monde politique ou la société toute entière. Devons-nous craindre le maïs transgénique ? Autoriser l’utilisation d’un porte-greffe plus résistant à certaines maladies en viticulture ? Faire des expérimentations sur les embryons ? Accepter l’euthanasie ? Ces questions qui, dans leur formulation même, hésitent entre l’analyse scientifique et la prise de décision, exercent un pouvoir certain sur la politique tout court. La société est ainsi traversée, divisée et parfois déchirée par des controverses dont on peine à voir l’issue. Avec des conséquences aussi bien politiques et sociologiques qu’industrielles. On voit donc l’intérêt de s’interroger sur la mécanique interne de ces controverses et sur le rôle des différents acteurs aujourd’hui : scientifiques, associations de la société civile ou encore citoyens qui aujourd’hui souhaitent intervenir dans cette sphère du risque à laquelle ils ont légitimement accès. « La science est aujourd’hui interrogée, réintroduite dans la cité, on est dans une co-construction d’un problème, entre savoir scientifique, savoir d’usage et savoir profane. Et je crois que le citoyen doit être éduqué pour réfléchir à ces questions. Il a sa place, il a une expertise qui doit être prise en compte dans ses choix de société» explique Winston Brugmans.
Incertitudes scientifiques : le principe de précaution
Pour faire suite au philosophe, Cédric Brun, épistémologue, maître de conférences en philosophie, à l’Université Bordeaux-Montaigne s’est intéressé aux enjeux de la médiation scientifique en santé-environnement en rapport avec les données, risques et incertitudes scientifiques. Aujourd’hui, les modalités de traitement des risques sanitaires, environnementaux, éthiques et sociaux trouvent leurs réponses dans le principe de précaution, cadré par des normes, des seuils. « Mieux vaut prévenir que guérir ! C’est la devise, avec ce souci éthique de limiter les conséquences nuisibles de nos diverses activités sur l’environnement ou la santé humaine. » Mais est-ce une réponse pertinente et opportune face aux incertitudes ? s’interroge Cédric Brun. « Aujourd’hui, face aux discours très anxiogènes (ex. : biberon au bisphénol A, ondes… ) on est assailli de mises en garde. On devrait s’abstenir d’à peu près tout dans ce contexte d’incertitude. » En effet, l’exercice de la démocratie impose que les technologies et les innovations qui transformeront le monde de demain soient choisies en accord avec la société, en fonction des bénéfices et des risques qu’elles présentent, évalués à l’aune des valeurs et des besoins du plus grand nombre. Cédric Brun évoquera différents exemples, les successions de crises sanitaires, sang contaminé, crise de la vache folle qui ont catalysé ces réflexions en jetant un certain discrédit sur l’expertise scientifique, contribuant notamment à renforcer l’image d’experts soumis aux pressions économiques et politiques. « L’épisode de vaccination de la grippe H1N1 en 2009 a entraîné une chute de 30% de la vaccination en général, entraînant une augmentation de certaines épidémies. »
Les citoyens exigent désormais un contrôle accru de technologies aux effets perçus comme incertains : « Faites-nous la preuve que ce n’est pas dangereux. Et souvent, ce n’est simplement pas possible scientifiquement…» souligne Cédric Brun. La médiation sur les questions scientifiques et techniques est une réalité où se creuse sans doute le fossé entre science et société. « Il est temps d’apprendre, dès l’école, à développer l’esprit critique, apprendre aux jeunes à se servir de l’outil statistique, à décoder les sources d’information, notamment sur le flux incessant qu’est Internet. C’est un enjeu crucial ».
La vidéo de la conférence est en ligne sur le blog de l’IREPS : http://aquitaine-santeenvironnement.org